"Justice québécoise et justice française", Le Dossier : De l'accès au droit à l'exercice de la citoyenneté, Actes du colloque de Clermont-Ferrand des 24-25 septembre 2015, textes réunis par F. Faberon et A. Habrial, La Revue du Centre Michel de l'Hospital [ édition électronique ], 2017, n° 12, pp. 87-91 - Université Clermont Auvergne Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue La Revue du Centre Michel de l’Hospital - édition électronique Année : 2017

"Justice québécoise et justice française", Le Dossier : De l'accès au droit à l'exercice de la citoyenneté, Actes du colloque de Clermont-Ferrand des 24-25 septembre 2015, textes réunis par F. Faberon et A. Habrial, La Revue du Centre Michel de l'Hospital [ édition électronique ], 2017, n° 12, pp. 87-91

Résumé

L'intitulé de cette séance conduisant à dépasser le thème central de « l'accès au droit » et à évoquer de façon plus panoramique, « le fonctionnement de la justice française », je voudrais, en quelques propos introductifs, aborder cette question très largement. Aujourd'hui, en France, les évènements récents conduisent à s'interroger sur l'efficacité réelle du service public de la justice, mais la prochaine discussion au Parlement d'un projet de loi organique sur l'indépendance et l'impartialité des magistrats (judiciaires) et l'ouverture de la magistrature sur la société, puis d'un projet de loi ordinaire portant application des mesures relatives à la justice du XXI e siècle, peut nous donner quelques raisons d'espérer. Aujourd'hui, plus que jamais, les citoyens ont « soif de justice », tandis que l'émergence des droits fondamentaux et la pénalisation de la vie sociale (et politique) renforcent le rôle des juges. Pourtant, c'est peu dire qu'en France la justice a mauvaise presse et qu'il est de longue tradition de « maudire ses juges ». Depuis La Fontaine (« Selon que nous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ») jusqu'à Montesquieu réduisant les juges à n'être que « bouche qui prononce les paroles de la loi : des êtres inanimés qui n'en peuvent modérer ni la force ni la rigueur », en passant par Bossuet qui, dans son Oraison funèbre de Michel Le Tellier, louait « tout l'esprit et les maximes d'un juge qui, attaché à la règle, ne porte pas dans le tribunal ses propres pensées, ni des adoucissements ou des rigueurs arbitraires, et qui veut que les lois gouvernent et non point les hommes », la prévention semble continue. De même, après 1789, les révolutionnaires ont voulu en finir avec les « Parlements » d'Ancien Régime qui avaient abusé de leur « droit de remontrance » et avec la noblesse de robe qui, par ses arrêts (à tous les sens du mot) et son souci de défendre ses privilèges, auraient empêché toute évolution de la société et donc rendu inéluctable la Révolution. Ainsi Danton, ministre de la Justice, qualifiât la caste judiciaire de « plaie du genre humain » et Robespierre voulait « rayer du vocabulaire cette détestable institution ». Dès lors, les lois des 16 et 24 août 1790 (toujours en vigueur) et du 16 fructidor an III sont venues interdire aux magistrats de se mêler des affaires de l'administration, en vertu du principe de séparation des pouvoirs proclamé à l'article 16 de la « Déclaration ». Cela a entraîné l'émergence d'une justice administrative d'abord « retenue » (entre les mains de l'administration elle-même, en quelque sorte juge et partie avec, jusqu'en 1884, la théorie du « ministre juge », faisant dire à Béranger que, créé par Napoléon, « le Conseil d'Etat menace trop nos libertés pour ne pas être l'objet d'une protestation continuelle »), puis « déléguée », à partir de 1872, à une magistrature indépendante et impartiale. Dans la même veine, plus près de nous, Léon Blum assurait, en 1946, qu'il « se représentait mal la loi soumise à des juges, si haut placés soient-ils » et, de l'autre côté de l'échiquier politique, Charles Maurras vitupérait « une poignée de bonshommes habillés de peau de lapin » prétendant imposer leur volonté aux représentants du peuple. La critique de la justice semble d'ailleurs, dans notre pays, réconcilier la gauche et la droite, de François Mitterrand qui, agacé par certaines « opérations mains propres » à la française (affaire « Urba », etc.), assénait, le 30 novembre 1990 à la Cour de cassation : « Les magistrats ne sont pas là pour faire la loi mais pour l'appliquer et la faire respecter », à Nicolas Sarkozy, traitant les juges de « petits pois » tandis qu'un syndicat de la magistrature affichait dans ses locaux un « mur des cons » sur lequel beaucoup de politiques se retrouvaient. Dès lors, c'est avec raison que Jean-Louis Nadal, alors procureur général près la Cour de cassation, évoquait, le 8 janvier 2007, « la crise identitaire » d'une justice par ailleurs confinée dans « une sorte de banlieue constitutionnelle, à la périphérie des institutions centrales de la République » 1 , au titre VIII de notre Loi fondamentale, qui la réduit au rang de simple « autorité », dont la réforme, toujours annoncée (dès 1995, Jacques Chirac envisageait d'en faire l'un des cinq « grands chantiers » de son septennat), est sans cesse repoussée. Hier, après l'emblématique « affaire d'Outreau », les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale « chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice… et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement » 2 n'ont débouché que sur la modeste loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats (de surcroit amputée de nombreuses dispositions par la décision n° 551 DC rendue par le Conseil constitutionnel le 1 er mars). Aujourd'hui, les libérations de psychopathes et de terroristes (le meurtrier d'un policier, la « veuve noire » de l'Isère ou l'indépendantiste corse Charles Pieri), le mécontentement affiché des avocats, des policiers et des personnels pénitentiaires 1 Hervé de Charrette, « La Révolution judiciaire », Le Monde, 14 octobre 1994. 2 Voir le rapport d'André Vallini, Doc. AN, n° 3125 du 6 juin 2006.
Fichier principal
Vignette du fichier
TURPIN D.pdf (745.08 Ko) Télécharger le fichier
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-01657196 , version 1 (03-10-2019)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01657196 , version 1

Citer

Dominique Turpin. "Justice québécoise et justice française", Le Dossier : De l'accès au droit à l'exercice de la citoyenneté, Actes du colloque de Clermont-Ferrand des 24-25 septembre 2015, textes réunis par F. Faberon et A. Habrial, La Revue du Centre Michel de l'Hospital [ édition électronique ], 2017, n° 12, pp. 87-91. La Revue du Centre Michel de l’Hospital - édition électronique, 2017, n° 12, pp. 87-91. ⟨hal-01657196⟩

Collections

PRES_CLERMONT CMH
305 Consultations
38 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More